ARGHAVĀN

 

ARGHAVĀN

par SĀYEH (HUSHANG EBTEHĀJ)

Téhéran, Printemps 1984

Arghavān[1], ma branche désunie, mon sang partagé,
De quelle couleur est ton ciel aujourd’hui ?
Au Soleil
Ou morose, encore ?

Moi, dans ce coin hors du monde je n’ai
Sur la tête nul Soleil,
Du printemps nulles nouvelles.
Je ne vois que le mur
Ah ! noir et dur
Si proche qu’à chaque souffle
Il me renvoie un souffle.

Le chemin, si sombre que l’envol du regard
Se fige à deux pas.

La lueur d’un lampion maladif
Est la conteuse de la nuit noire.
Ici mon souffle se resserre,
Où même l’air est captif.

Tout ce qui gît à mes côtés
A perdu les couleurs de la vie.
Jamais un soleil n’a jeté
Même le coin de l’œil
A cette crypte ensevelie

En ce coin de silence et d’oubli
Dont l’haleine froide souffle toutes les bougies,
Du fond de ma mémoire, un souvenir en couleurs
Arrache les pleurs.

Mon Arghavān est là,
Mon Arghavān est seule,
Mon Arghavān est en larmes
Couverte de sang comme mon coeur
Qui s’épanche de l’œil.

Arghavān
Quel est le secret
Pour qu’à chaque fois le printemps
Arrive avec le chagrin en nos cœurs ?
Pour que chaque année la terre se teinte du sang des hirondelles,
Et ainsi à nos coeurs calcinés,
Ajoute la perte à la perte ?

Arghavān, griffe sanglante de la Terre,
Saisis le matin par l’habit
Demande aux doux cavaliers du Soleil
Quand ils visiteront cette vallée de chagrin.

Arghavān, gousse de sang,
Au point du jour quand les colombes
Piaillent à la fenêtre ouverte de l’aurore,
Mon âme écarlate,
Saisis-la du bout des doigts,
Hisse-la vers l’observatoire,
Ah ! Dépêche-toi, les voltigeurs
S’inquiètent du chagrin de leur compagnon.

Arghavān, rouge bannière du printemps,
Lève-toi
Tu es mon poème de sang
Garde sur la langue
La mémoire chatoyante de mes amis.
Chante mon hymne inchanté,
Arghavān, ma branche désunie, mon sang partagé.


[1] Arbre de Judée (Cercis siliquastrum) aux fleurs pourpres annonciatrices du printemps. Egalement prénom féminin. Arghavāni désigne la couleur pourpre en persan. 


Traduit du persan par Lionel Pousaz et Samira Asgari

 

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