Mémoires diverses II.

Rêve de grandeur – La Sarraz, début des années 80
Je me souviens très bien de l’endroit et du moment, quand cette illumination enfantine m’est venue à l’esprit. Et si je devenais le Roi du monde? Alors il n’y aurait plus ni guerre ni pauvreté: je l’interdirais tout simplement. Je m’imaginais avec sur la tête une couronne d’or sertie de pierres précieuses, je prendrais mes décisions dans la grande salle d’un château et le monde entier admirerait ma sagesse et ma clémence. C’était au retour de l’école, un midi ensolleillé, et je passais devant la maison d’un voisin. Depuis, à chaque fois que j’emprunte le même itinéraire, ce  rêve de grandeur me revient en mémoire.

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Les vacances de M. Nulot – Lausanne, env. 1999
Sur une terrasse lausannoise, rue du Maupas. Un type un peu cradingue rejoint une tablée. Son t-shirt porte en gros caractères roses sa dernière destination de vacances: Phuket. Il salue vaguement ses compagnons. Après quelques minutes, l’un d’eux lui demande “Alors la Thaïlande, c’était comment?” Et le type de répondre, sans préambule “Elles sont toutes à marier”. Silences gênés.

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La servitude de passage – La Sarraz, env. 1984
Notre voisin a planté un peu partout des écriteaux pour proscrire l’accès au sentier devant sa maison, bien qu’il soit soumis à une servitude de passage. Ce personnage est réputé aussi mauvais que puissant – un avocat, un médecin ou autre notable de village, je ne me souviens plus. Un après-midi, alors que j’empruntais le chemin, il m’a houspillé de sa terrasse. “Qu’est-ce que tu fais là, fous le camp!” Dans mon souvenir, il tient deux chiens en laisse et fait mine de les lâcher. Mais c’est sans doute une élaboration ultérieure.

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Le Monsieur qui regarde les chantiers – La Sarraz, années 80
C’est un vieux monsieur court et trapu comme une souche, qui passe ses journées en contemplation devant les chantiers du village. Il porte souvent un bleu de travail, même s’il ne travaille plus. Son visage est comme plissé, ratatiné autour d’un cigare qui sent à 20 mètres à la ronde. Il ne bouge que les yeux et la tête, parfois il ne bouge pas du tout. Eté comme hiver il faisait partie du paysage. Puis il a disparu.

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Les petits pains aux crottes de nez – La Sarraz, années 80
A la récré, quelqu’un a dit qu’au lieu de raisins secs, la fille du boulanger semait ses crottes de nez sur les petits pains. Je n’y ai pas cru, mais tout de même… Par précaution, je n’en ai plus jamais acheté.

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Les indiens perdent toujours (à la fin) – La Sarraz, env. 1981
J’ai toujours préféré les indiens aux cow-boys. Moins romantique, mon voisin sait se placer du côté des vainqueurs. Pour le tuer, je dois l’atteindre avec mon arc et mes flèches bricolés. C’est pratiquement impossible. Quant à lui, il n’a qu’à produire un gros bang avec son pistolet à pétard pour me faire passer de vie à trépas. Excédé par tant d’injustice, je m’enfuis en rageant vers le centre du village.

Je porte la panoplie complète du sioux d’opérette – mocassins, coiffe de plume et tunique brodée. Sur le pont, je croise une dame noire et son enfant – il n’y avait pas beaucoup de personnes noires à l’époque. “Regarde, un petit indien”, qu’elle fait à son fils, et moi je parade, fier comme un cheyenne.

Plus tard, je réalise que je suis perdu. Chaque rue ou allée résidentielle conduit à une nouvelle bifurcation, où j’espère voir se dessiner ma maison. Cette succession d’espoirs douchés écorne ma détermination d’indien. Je suis pris d’angoisse, perdu dans un labyrinthe où rien ne semble familier. Je me souviens de cette demeure aux volets jaunes qui fermait un cul de sac, elle avait l’air énorme, ses fenêtres me regardaient comme des yeux mauvais. A ce moment, j’ai entendu la voix de mon père. Juché sur le cadre de son vélo, je ferai les 200 mètres qui me séparaient de chez moi.

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